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Les pattes ravisseuses des insectes : un exemple de convergence évolutive

Les Insectes sont des arthropodes avec 3 paires de pattes. Chez certains Insectes, les deux pattes antérieures sont des organes dit « rapteurs ou pattes ravisseuses » : les pattes sont en forme de crochets permettant d’attraper des proies.
Rappelons qu’un ravisseur est celui qui s’empare par la force de ce qui appartient à autrui. C’est bien le cas chez ces Insectes qui vont s’emparer de leurs proies à l’aide de ces pattes.
Le plus connu des Insectes avec des pattes ravisseuses est probablement la mante religieuse, Mantis religiosa.

Les pattes ravisseuses sont aussi présentes chez d’autres groupes d’arthropodes (crabes, scorpions…). Mais concentrons nous ici sur les Insectes.

La présence de pattes ravisseuses chez différents Insectes nous questionne sur l’origine de ce caractère :
– Est-il un caractère commun à un groupe spécifique d’Insectes ?
– Ce caractère est-il apparu indépendamment dans plusieurs groupes d’Insectes ?

 

4 exemples d’espèces avec des pattes ravisseuses chez les insectes :

La mante religieuse, Mantis religiosa, ordre des Mantoptères.

La mante religieuse porte ce nom car en attendant sa proie, elle semble prier avec ses pattes ravisseuses.

Zoom sur la patte ravisseuse de Mantis religiosa.

La mantispe commune, Mantispa styriaca, ordre des Névroptères (fourmillions, ascalaphes, chrysopes…)

La mantispe commune ressemble beaucoup à une mante religieuse, mais c’est bien un Névroptère.

Zoom sur la mantispe commune et ses pattes ravisseuses.

Autre photo de cet insecte intriguant.
On rencontre Mantispa styriaca dans les lieux chauds et secs, mais c’est un insecte assez rare.
L’adulte se déplace maladroitement sur 4 pattes, et chasse à l’affût une fois installé.  Il peut capturer des proies de la taille d’une mouche.

La nèpe cendrée, Nepa cinerea, ordre des hémiptères, sous ordre des hétéroptères (punaises).

Nèpe cendrée au fond d’un ruisseau, on la surnomme « scorpion d’eau »

Tête et pattes ravisseuses de la nèpe cendrée, Nepa cinerea.

La Phymata crassipes, ordre des hémiptères, sous ordre des hétéroptères (punaises).

Observation de Phymata crassipes sur une tige d’ombellifère au printemps.

Zoom sur la tête et le thorax de Phymata crassipes avec ses pattes ravisseuses.

Comparaison morphologique des pattes ravisseuses chez la mante religieuse et la nèpe.

Chez la mante religieuse (et tous les mantoptères), la pince est constituée par le reploiement du tibia contre le fémur armée de dents.
 La hanche (=coxa) est longue et repliée au repos sous le  thorax qui est très allongé.
Certains Insectes, comme chez le genre Mantispa (ordre des Névroptères), ont une patte ravisseuse très proche de celles des mantoptères.
D’autres Insectes comme les nèpes ont une organisation différente : leur hanche est beaucoup plus courte et le thorax n’est pas allongé.

Figure extraite du livre :
« Les fonctions de nutrition », Y. Turquier

Arbre phylogénétique (ou arbre des parentés) des Insectes :

Arbre phylogénétique simplifié des Insectes et répartitions des 4 exemples précédemment observés possédant des pattes ravisseuses (entourés en violet).

On peut observer sur l’arbre phylogénétique ci-dessus que le caractère « pattes ravisseuses » est présent chez des genres d’espèces éloignés : par exemple, le genre Mantispa appartient aux Holométaboles, phylogénétiquement très éloignés du genre Mantis (mante religieuse) appartenant aux Polynéoptères. Ainsi ces deux genres d’Insectes, bien que très proches physiquement, sont en réalité très éloignés du point de vue de leur parenté. Le caractère « pattes ravisseuses » est donc ici apparu indépendamment plusieurs fois, on parle de convergence évolutive.

On pourrait penser que pour les genres Nepa et Phymata qui appartiennent tous les deux à l’ordre des Hémiptères, qu’il s’agit d’un caractère partagé. Mais il ne faut pas oublier que les Hémiptères possèdent un nombre de genres extrêmement important et que les genres Nepa et Phymata sont des exceptions qui possèdent ce caractère. De plus ces deux genres d’Hémiptères ne sont pas proches phylogénétiquement.
On peut donc ici aussi en conclure qu’on a une convergence évolutive : le caractère est apparu deux fois indépendamment.

Pour la cas des Insectes de l’ordre des Mantoptères, c’est différent :
L’ensemble des genres composant cet ordre (ex : Mantis, Empuse, Ameles…) possèdent des pattes ravisseuses. Il s’agit donc là d’un caractère dérivé propre à l’ensemble des Mantoptères. On peut donc imaginer que l’ancêtre commun des Mantoptères avait des pattes ravisseuses et qu’il a transmis ce caractère à l’ensemble de ses descendants.

La convergence évolutive :

La convergence évolutive est le mécanisme évolutif conduisant des espèces soumises aux mêmes contraintes environnementales, à adopter indépendamment plusieurs traits physiologiques, morphologiques semblables.
Ces traits sont semblables car ils répondent aux mêmes contraintes.
Dans notre exemple sur les pattes ravisseuses, les contraintes environnementales sont : « se nourrir en attrapant une proie par une chasse à l’affût ».

Autre exemple de convergence évolutive, plus connue :
L’aile de différents tétrapodes : ptérodactyles, oiseaux, chauves-souris.  Ce sont des réponses morphologiques similaires au même contrainte : se déplacer dans le milieu aérien.

Quésaco ? : Homologie primaire, secondaire et homoplasie

Le concept de similitude se divise en homologie et en homoplasie.
Homologie = similitude héritée d’un ancêtre commun. C’est le cas pour l’ordre des Mantoptères.
Homoplasie = similitude non héritée d’un ancêtre commun. C’est le cas pour la présence de pattes ravisseuses chez les 4 genres présentés dans cet article. 

La découverte d’une similitude chez des êtres-vivants se traduit par une homologie primaire : c’est l’hypothèse que l’on a une similitude héritée d’un ancêtre commun. Au début de l’article, nous nous sommes demandé : « Est ce que le caractère « pattes ravisseuses » des Insectes provient d’un ancêtre commun ? »
Cette hypothèse est soit alors confirmé : on parle d’homologie secondaire.
Elle est soit infirmé : on parle d’homoplasie. Fin de l’article : cette hypothèse est bien infirmé, on a une homoplasie par convergence évolutive.

Cependant on a bien une homologie secondaire en ce qui concerne les Mantoptères puisqu’il s’agit bien d’un caractère provenant d’un ancêtre commun est partagé pour toutes le espèces de cet ordre.

Publication : Mai 2020
Auteur(s) : Pierre-Jean Riou, professeur de SVT

Crédits photos et schémas : Pierre-Jean Riou

Bibliographie :

Classification phylogénétique du vivant, tome 1 et 2, édition 4  Lecointre et Le Guyader
–L’organisme dans son milieu – Les fonctions de nutrition, Y. Turquier avec la participation De P.Cassier